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l’événement festif urbain, thèse de doctorat de Mónica MIRANDA

 

 

ÉCOLE DOCTORALE « VILLE, TRANSPORTS ET TERRITOIRES »
Thèse de doctorat de l’Université Paris-Est
Champs disciplinaire : Aménagement de l’espace et urbanisme

Mónica MIRANDA

L’EVENEMENT URBAIN FESTIF :
VERS UNE « GESTION DE SITE EXPLORATOIRE » SUR L‟ESPACE PUBLIC ?

Les cas de Nantes et de Bordeaux

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l’homme et la ville et leur constitution en tant qu’itinéraire sentimental, par le Dr. Ramón ROMÁN ALCALÁ

L’HOMME ET LA VILLE. LES VILLES ET LEUR CONSTITUTION EN TANT QU’ITINÉRAIRE SENTIMENTAL

La crise des sociétés occidentales pose la question de savoir dans quelle mesure lesdites sociétés sont encore à même de continuer à produire l’individu nécessaire à leur fonctionnement. Le premier et principal atelier de fabrication des individus est la famille. La crise de la famille contemporaine, la désintégration des rôles traditionnels et ce qui en découle désoriente et pousse les individus à l’autonomie et à l’émancipation. La technique moderne, qui a inauguré une nouvelle étape de l’humanité, a envahi non seulement le domaine de l’économie et de la production, mais aussi celui du social et de la culture. Ainsi, l’émergence de la culture de masses et de « l’industrie culturelle » a été acceptée non pas en tant que phénomène aliénant, mais plutôt comme l’apparition d’immenses possibilités de création et de diffusion de la culture au sein des villes.

En effet, l’impact des changements sociaux les plus récents, qui dérivent de la transformation contemporaine du système de production, accompagnés de la diffusion de nouvelles technologies et de l’internationalisation du capital dans un monde rétréci, ajoute encore de la complexité à cet espace, déjà si varié en soi, qu’est la ville. Jadis définie comme un lieu sacré et de représentations symboliques, la ville constitue aujoud’hui, avant tout, un espace de reproduction de la société qui s’en sert quotidiennement. Ajoutons encore à cela son sens d’espace hérité, d’espace de capital, d’espace de consommation, d’espace de signifiés et de valeurs symboliques, espace qui fait l’objet de différentes approches et tentatives d’explications, de différentes formes d’analyse et d’interprétation, depuis les perspectives écologiques jusqu’aux approches économiques, sociales et humanistes.

La forte différenciation interne de l’espace urbain en termes physiques, ou d’usages du sol,  ou de composition de la population, ou encore d’activités de loisirs et de culture, et comprenant  tant de caractéristiques sociales, de comportements et de problèmes différents, est l’une des principales caractéristiques des villes actuelles. Dans le cadre de cette équation schématique mais non point fausse, le rapport de l’homme avec son milieu, avec sa ville, doit s’adoucir, et rechercher un axe qui lui permette de résoudre les besoins créés par l’expulsion progressive de l’intérieur vers l’extérieur. Ce point-clé grâce auquel nous sommes capables, en tant qu’êtres humains, d’interpréter la réalité, c’est les sentiments. À la frontière entre deux millénaires, le moment est venu de reconsidérer le rapport qu’entretient l’homme avec son milieu, ainsi que la perception que nous en avons.

La logique extravagante du touriste, qui n’a pas le temps, a transformé la plupart de nos villes historiques en endroits de passage. Même pour le citadin, la ville demeure en grande partie invisible, ce qui nous empêche d’ailleurs de recourir à la tentation du souvenir, puisque nous ne savons pas regarder ; nous avons perdu la capacité de contempler. Nous ne sortons plus dans la rue pour tout appréhender avec avidité mais, au contraire, aux aguets, à l’affût d’un gibier (et éventuellement armés d’appareils-photos ou autre caméscopes) que nous nous empressons d’abattre pour ensuite retourner à la caverne où nous nous sentons en sécurité.

La réalité devrait être toute autre. On ne peut découvrir une ville que si l’habitude quotidienne et ordinaire devient  une passion inattendue, et que la la ville s’agrandit sous nos yeux, et que l’on découvre des murs, des façades, des palais abandonnés, des vestiges inachevés. C’est lorsque cette transformation s’opère que la ville invisible se révèle et s’ouvre au voyageur contemplatif et solitaire, et lui offre tout l’espace non parcouru qui s’inscrit dans la mémoire de quiconque le regarde pour la première ou pour la dixième fois.

LES VILLES EN TANT QU’ITINÉRAIRES SENTIMENTAUX COMPLEXES

Le programme que nous proposons visera à récupérer les rapports sentimentaux entre l’homme et la ville, en tant qu’éléments organisateurs de nos activités, qui facilitent la mobilité et qui  nous sécurisent tous du point de vue émotionnel. Il est évident que la culture prédominante  est soumise, dans nos villes, à la souveraineté de la technologie. Nous devons toutefois, à travers les émotions, créer une nouvelle culture où s’intègrent la science, la technologie et l’humanisme. Si nous prenons cette idée comme horizon, connaître une ville, c’est la sentir et s’en émouvoir à travers les sentiments que nous en percevons et la connaissance qu’elle nous apporte.

Les villes ne sont pas seulement des faits objectifs, constitués d’un paysage, de structures urbaines et de caractéristiques de population, mais aussi et surtout un espace vécu, senti, valorisé et perçu de façon différente par les individus à travers leurs représentations mentales et leurs impressions individuelles et collectives. Cette approche de la ville en tant que champ perçu, fondé sur la psychologie et dans le cadre d’un courant de pensée phénoménologique, reconnaît la ville  comme une image représentative d’un milieu réel qui influence la connaissance humaine.

En effet, il existe une interaction sentimentale entre l’image de la ville et le comportement humain, lesquels construisent des rapports homme-ville qui déterminent le sens et le symbolisme des différentes parties de la ville. Percevoir, sentir et penser sont trois processus qui engendrent une certaine information, laquelle conditionne non seulement l’expérience personnelle de l’individu, mais aussi sa culture, ainsi que les différentes étapes du cycle de sa vie citadine.

De la rencontre passionnée, sentimentale, entre une ville et un regard, surgit un modèle mental du milieu réel qui intègre l’homme à son passé, à son présent et à son avenir. Cependant, cette image individuelle se forge tout d’abord à partir de l’espace personnel (la chambre, le foyer), des déplacements quotidiens que nous réalisons (au lieu de travail, pour faire les courses, aux espaces de loisirs, de récréation, de détente), et des sens socio-économiques et culturels des zones que nous traversons.

L’intérêt de cette approche de la ville, fondé sur la psychologie et favorisé par un certain courant de pensée phénoménologique, dérive de l’importance de la perception de l’environnement  pour la formation de l’image du milieu réel, ainsi que du fait constaté que c’est l’image qui influence le comportement des individus et non pas, directement, le milieu qui influence leur conduite, comme l’affirmait l’analyse traditionnelle des rapports milieu-homme, basée sur la théorie stimulation—réponse. Ce sont donc les images mentales qui déterminent le sens et le symbolisme des différentes parties de la ville ; ce sont elles qui conditionnent les comportements des citadins vis-à-vis de questions concrètes telles que le choix de la zone de résidence dans le cadre des possibilités économiques, ainsi que des endroits où l’on va faire ses courses, des lieux de travail, des espaces de loisirs ; et leur analyse est donc indispensable pour comprendre le comportement des individus et le fonctionnement de la ville.

Lors donc, ni homme « tout raison », ni homme « tout sentiment », mais plutôt un modèle  « d’être humain à rationnalité limitée ». L’image que nous construisons de la ville apparaît comme résultat du filtre établi par nos mécanismes physiologiques et psychologiques de perception, qui s’ajoutent aux expériences personnelles et aux systèmes de valeurs des stimuli de l’environnement auxquele le cerveau est soumis en permanence. Ceci nous mène à penser que chaque personne vit dans son propre monde, et perçoit l’espace de façon différente. Bien que cette affirmation soit correcte, il n’en est pas moins vrai qu’il existe des images collectives de la ville qui sont partagées par de grands groupes, sur la base de similitudes quant à la socialisation et aux expériences communes. Cela veut dire que l’aménagement urbain, comme l’a observé Kevin Lynch, est élaboré et organisé à partir de cinq éléments singuliers (sentiers/itinéraires, bords, quartiers, points de rencontre/noeuds, et repères spatiaux locaux), et qu’il a le pouvoir de modifier et de perfectionner la lecture que nous faisons, à travers lui, de la ville.

DEUX MODÈLES DÉSUNIS : PASSÉ ET PRÉSENT

Le système technologique et l’organisation sociale sont intimement liés, et ils définissent de concert le modèle hégémonique qui tend à s’imposer et à se matérialiser sur un territoire à travers une organisation concrète. Toutefois, le modèle hégémonique n’opère  pas sur un vide social, et ne fait donc pas table rase des autres modes pré-existants de façon immédiate, mais cohabite avec ceux-ci, même s’il vise leur élimination. C’est ainsi que les modes marginaux trouvent une issue par le biais d’un système technologique alternatif, lequel se traduira par une certaine forme et un certain usage de l’espace urbain, ce qui provoquera tensions et conflits.
Tout modèle social qui va de pair avec un mode de production hégémonique requiert donc une ville neuve, ce qui va à l’encontre des structures sociales, des formes et des usages des sols dorénavant inadéquats. Un système tendant exclusivement à favoriser les intérêts économiques, commerciaux et des services crée un discours hygiéniste, dont le résultat est une ville régie et conçue par et pour une certaine bourgeoisie. Mais les nobles intentions de cette dernière ont  néanmoins l’inconvénient d’échouer dans le développement harmonieux de la ville, car elles ont pour conséquence la détérioration des quartiers historiques et populaires, ainsi que la croissance  des quartiers de la « zone » périphérique qui, par leurs carences, rompent la normalisation recherchée.

Il y a donc deux éléments qui ne font pas corps avec ce modèle, éléments qu’il vaut la peine de connaître et sur lesquels il convient de réfléchir. Le premier est constitué par les ruines qui apparaissent dans la physionomie de toute ville historique. C’est le passé qui parle à travers elles, et parfois à travers leur décrépitude, si riche de sens. Pour cette raison, le rapport que l’humain entretient avec elles est ambigu : soit elles passent inaperçues et engendrent une certaine indifférence dans leur décrépitude, soit elles tirent de celle-ci un attrait qui interpelle l’orgueil du passant. L’ autre élément de réflexion nécessaire concerne les quartiers les plus profondément marginaux, urbainement déstructurés, lesquels engendrent une opacité qui fait parfois obstacle à toute intervention. Ils se voient alors doublement punis : il est impossible d’y intervenir du point de vue urbanistique, et ils font naître des sentiments de répudiation et d’incompréhension chez les habitants.

En fonction de ce qui précède, et en tenant compte des représentations mentales des citadins vis-à-vis de l’espace qu’ils habitent, de la façon dont les images qu’ils s’en font sont liées à l’espace, ansi que des contributions concernant la perception du milieu, il nous est possible d’aborder l’image que nous nous faisons d’une ville à travers d’itinéraires soit positifs, splendides et immaculés, soit négatifs, difficiles et confus. La première option, si l’on ose dire, tape à l’oeil : elle est politiquement attrayante, elle attire le touriste, et elle prétend représenter l’image de la ville. Tout y est bonheur, « souvenir », fiction. Les itinéraires de la seconde catégorie, étrangers à cette image sensible de la ville offerte à la mémoire touristique, s’imposent puissamment au voyageur, faisant naître chez lui des sentiments plus affligeants, voire plus violents. Cette vision ambiguë et  floue de la ville n’est jamais proposée par aucun guide touristique, ni par les recueils d’excellences urbanistiques, car la ville se refuse à offrir cette vision et il faut la lui arracher. Peut-être croit-elle qu’en la niant, nous ferons semblant d’imaginer que cette vision n’existe pas.

Il n’est pas possible, pour une présentation comme celle-ci, d’établir une classification de chacun des itinéraires sentimentaux que possède une ville, et nous allons nous restreindre à deux d’entre eux. L’un, comme nous l’avons déjà dit, a trait au passé (illusion, perte, mémoire) ; l’autre est lié au présent (réalité, politique, problèmes). D’un côté, nous réfléchirons sur ce rapport étrange et puissant qui, dans les villes ayant un passé, s’établit entre leurs ruines et les visiteurs qui s’en approchent, qu’ils soient étrangers ou résidents. De l’autre, un côté moins romantique, plus réel et quotidien, et qui pose des problèmes qui touchent presque toutes les société urbaines. Le manque d’ordre dans tout quartier de la ville engendre des zones difficiles à contrôler, d’une grande insécurité, des zones opaques au pouvoir et à toute forme d’organisation « politique ».

LE PASSÉ EN TANT QUE DÉSOLATION: PROMENADE PARMI LES RUINES

Nous trouvons dans les villes des espaces physiques liés au passé, et conservés tels quels à ce titre. Ce sont tous ces lieux où l’on se rend en pèlerinage, à la recherche des origines qui ne sont plus, qui ne peuvent se reproduire. Lorsque Virgile réduit la destruction de Troie à cette seule phrase : « Troia fuit », ce passé du verbe sans possibilité de retour fait de la ville une ruine. Les ruines sont un symbole évident du déclin et de la perte de grandes cités, dont le temps est à jamais révolu.

Toutefois, ce passé en débris exerce sur nous un attrait énigmatique. Les seules ruines qui soient tristes sont celles qui sont actuelles : ces énormes immeubles qui sont présents dans toutes les villes, et dont ne subsistent que leur façade. Par contre, les ruines archaïques, celles des temps antiques et nobles, possèdent vie et présence, et continuent d’affirmer malgré le désastre l’orgueil des actions des hommes qui furent capables de les construire. L’honneur et la gloire, le feu des incendies, les reconstructions furieuses des générations, les cris des héros, ceux des bourreaux, ceux des victimes, tous nous parviennent depuis le silence des ruines. Il existe un secret plaisir à imaginer ou à savoir ce qui ne peut faire l’objet d’aucun souvenir, comme un théâtre d’ombres que nous recréons et transmettons aux générations futures.

L’homme est attiré par la fin des choses. L’on chante le crépuscule, la perte, la défaite, comme si la mort fût plus digne ou eût plus de grandeur que la naissance. Dans les villes faisant partie du patrimoine de l’humanité, les ruines exercent une influence empreinte de respect sur le voyageur. L’exaltation de la ruine en tant que symbole évident du déclin et de la perte fut portée par le Romantisme à des niveaux inimaginables. Au seuil d’un nouveau Millénaire, on assiste à un retour de mode des craintes et frayeurs que l’irrationalité humaine attribue aux cycles fatidiques, aux dépens de l’innocente arithmétique des calendriers.

Il faut aujourd’hui tirer parti de cet envoûtement du déclin pour récupérer, depuis le présent, ce passé ruineux et noble. Depuis toujours, les esprits des hommes se sont complus dans les annihilations et les catastrophes. Pour n’en donner qu’un exemple, dans les Écritures, après le Chaos et la Création, nous assistons au Déluge (dont seuls les poissons semblent avoir échappé, comme observe avec humour un Père de l’Église) puis, de toutes parts, aux destructions de villes, de temples, de peuples entiers, lesquelles semblent assumer une joyeuse fonction d’exhortation.

Pour nous, les ruines sont des rides gravées sur le visage vieilli de la ville. Elles agissent comme une mémoire vivante qui jalonne l’histoire de la ville et incorporent des expériences à la connaissance du milieu urbain. Elles ne constituent pas exclusivement un patrimoine historique, artistique ou muséologique, mais sont aussi des manifestations matérielles qui incorporent des expériences du passé et servent à créer une géographie des sentiments.

Des ruines surgissent des ombres « virtuelles » à la réalité affaiblie, mais qui  conservent poétiquement la présence de la ville, et se chargent de restaurer les liens temporels avec le passé. À l’instar de Deucalion, elles font renaître la race humaine à partir de chaque perte : les pierres (les os de la < Terre Mère >) sont la matière à partir de laquelle se reconstruit la race humaine.

C’est pour cette raison que les ruines doivent être traitées avec le respect révérencieux que nous devons au passé, mais aussi avec le pragmatisme convaincant que nous devons au présent. On peut ainsi parler, en termes opérationnels, d’une relation stimulus—réponse qui peut être mesurée et quantifiée en termes sociaux. Le voyageur, mais non pas le touriste, connaît ou tente de connaître l’histoire, les traditions et les manifestations artistiques que la ville lui offre. Il sent qu’il est poussé vers un territoire où ses normes habituelles ne vont lui être d’aucun secours, et que cela vaudra la peine dans la mesure où il y découvre des choses qu’il n’aurait pu imaginer, et non seulement des paysages (des ruines, en l’occurrence), mais des recoins de sa propre conscience, des galeries de ses sentiments, des îles vierges de son imagination et de son regard.

C’est ainsi que les ruines, dans leur destruction, construisent des itinéraires sentimentaux qui s’imposent par leur force potentielle. Elles reflètent non seulement ce qu’elles sont, mais aussi ce qu’elles ont été, et elles rendent aussi possible, chez celui qui les contemple, une position vis-à-vis de l’histoire et de la mémoire qui constitue le coeur caché de la ville. Pour le connaître, il faut d’abord se sentir possédé par la ville, s’y perdre sans guide, comme on se perd dans une forêt — métaphore très réussie de W. Benjamin —; il faut laisser les labyrinthes s’imposer à notre mémoire. Il est très difficile de faire prise sur la ville dans la fuite du temps, et nous ne pouvons la rendre immortelle qu’à travers son passé ruineux. De la rencontre passionnée entre une ville et celui qui la perçoit naît alors une relation naturelle et énigmatique qui laisse derrière elle un sillage de mystères antiques et indéchiffrables.

LE PRÉSENT EN TANT QU’ASCENSION IMPARABLE DU DÉSORDRE : LA VILLE ET SES ZONES GRISES

La mondialisation actuelle du système économique rend les processus de production et d’utilisation des sols de plus en plus semblables. De plus, l’exécution de ces processus de façon instantanée (révolution des communications, de l’information) fait que leurs effets sur la forme et l’usage de la ville soient très rapides et uniformes, ce qui crée en retour des formes et des usages eux aussi toujours plus semblables.

Depuis la Renaissance, l’ordre a gagné la partie au désordre : géographiquement, par exemple, où l’on a assisté à la réduction des espaces incontrôlés, qu’ils se trouvent dans les villes ou n’importe où dans le monde. Dans les premières, l’ordre ne cessait de progresser, jusqu’au point de nous laisser accroire, comme s’il s’agissait d’un mythe, que nous finirions par avoir une ville transparente où tout serait contrôlé et connu (G. Orwell, 1984). Dans de telles villes, le citadin perdrait une partie de sa liberté, mais il jouirait d’une sécurité absolue, et il serait impossible d’établir une topographie de la peur telle que la fit Duncan en 1977, pour la ville de New York.

Toutes ces idées ont été tout-à-coup reléguées à un second plan. L’illégalité, l’insécurité sont en plein essor. C’est ce qu’Alain Minc nomme le phénomène des « zones grises », ces lieux situés en plein coeur des démocraties où s’installent l’ombre et l’exclusion. Il s’agit de zones qui sombrent dans une certaine anarchie, dont la trame complexe est difficile à cerner, et où l’on assiste à des rapports troubles entre société officielle et société clandestine, entre affaires honnêtes et malhonnêtes, entre l’argent sale et celui qui n’a pas d’odeur.

De façon surprenante et imprévue, tout se retourne comme une crêpe. D’immenses espaces retournent à leur état naturel ; l’illégalité reprend droit de cité au coeur des démocraties ; les maffia cessent d’être des archaïsmes en voie de disparition pour devenir une forme sociale en pleine expansion : de nombreux citoyens, même au sein des sociétés les plus riches et sophistiquées, sombrent dans l’obscurité et l’exclusion.

Cette hypothèse, développée par Minc, concerne des régions entières qui sombrent dans l’anarchie, et elle corrobore l’idée d’avènement d’un nouveau Moyen‑Âge qui transforme les éléments ordonnateurs de la civilisation en « Terra Incognita ». Sans aller jusqu’à cette analyse globale, qui n’est pas l’objet de ce modeste article, il faut toutefois reconnaître qu’une certaine opacité s’est emparée de nos villes, cependant que les institutions restent à l’écart de cette commotion. Elles ne se rendent pas compte que, peu à peu, elles perdent de plus en plus de pouvoir  sur une partie de la ville qui, elle, s’agrandit.

Selon Minc, le gris avance de toutes parts, sur les territoires, dans les sociétés et dans les réalités virtuelles. La confusion devient un élément typiquement social. Ce problème ne serait pas si crucial si les institutions, croyant  que ce problème faisait désormais partie de l’histoire, ne restaient étrangères à cette difficulté. L’État ou les institutions locales ont beau se montrer pointilleux et omniprésents, la vérité est qu’ils perdent du terrain. La société officielle disqualifie, de façon plus ou moins intentionnelle, ces zones, et sa capacité de concurrence vis-à-vis de l’offre du marché libre s’en trouve affaiblie. De plus, les préjugés s’installent dans le noyau de la société officielle, étiquetant les habitants, qui sont associés, dans les images collectives, à de mauvaises réputations, à des modes sociaux déviants. Cela entraîne que, se trouvant en butte aux difficultés d’embauche dans d’autres quatriers, ils se replient sur eux-mêmes dans la misère de leur bunker…

La complexité urbaine actuelle, qui trouve son expression dans la quantité d’éléments, de composantes et de fonctions en conflit et en interaction, vient encore ajouter le facteur d’une consommation d’espace accrue. L’urbanisation diffuse augmente la dégradation des ressources et favorise la rupture d’équilibres. Cette diffusion urbaine vers la périphérie et les zones intermétropolitaines transforment ces enclaves en lieux marginaux où augmente une population à faibles revenus ou d’immigrants non qualifiés.

La complexité de cette situation dérive du fait que les pouvoirs politiques, aveuglés ou obnubilés par la recherche de solutions à des problèmes définis, laissent ces indéfinitions augmenter. Les pouvoirs officiels reculent, perdent du terrain dans toutes leurs fonctions sociales et répressives, incapables qu’ils sont d’encadrer une réalité qui retourne aux règles de fonctionnement les plus primaires et élémentaires. Les normes juridiques en franche expansion soutiennent — ce sont les mots de Minc — le fonctionnement de la société officielle. Les procédures sociales, qui semblent de plus en plus complètes, laissent en réalité s’échapper chaque jour de nouvelles couches sociales. La répression, qui prétend faire face aux formes de délinquance les plus sophistiquées, doit en fait cohabiter avec une illégalitée elle aussi en plein essor.

Ces espaces deviennent donc des espaces déshérités et abandonnés, ils deviennent opaques au regard politique, et l’on aboutit alors à une situation surréaliste où le pouvoir regarde ailleurs et oublie ces zones, qui sont déclassées en tant que zones visibles, et sont reconnues et identifiées à des mondes obscurs où règne la drogue, la prostitution, le vol, etc… C’est ainsi qu’elles deviennent de véritables points noirs sur la carte mentale de la ville, de sorte qu’il est possible d’observer, dans n’importe quelle ville, de véritables cartes mentales de la crainte.

Il est évident que cette situation est facilement identifiable dans les grandes villes et qu’elle est moins nette dans les petites, ce qui ne veut pas dire que ces dernières y échappent. Par ailleurs, leur nombre, loin de diminuer, augmente partout. La raison en est bien simple : la concentration dans les villes augmente  de jour en jour, et une proportion croissante de ces masses de population qui se rapprochent de la ville à la recherche de meilleures conditions de vie se trouve refoulée vers ces zones, dans l’espoir de modifier leur situation de départ.

Nous ne pouvons accepter que la victoire du libéralisme démocratique ait pour conséquence inévitable l’ascension des zones grises. Les pouvoirs politiques doivent reconnaître le problème et, pour le moins, essayer de le résoudre. Il faut cesser de marginaliser ces zones qui, oubliées par leur propre ville, engendrent des sentiments de désolation et de non-appartenance à celle-ci.

Les itinéraires sentimentaux qu’une ville produit chez ses habitants ou chez ceux qui la visitent sont, dans la terminologie borgienne, comme des jardins qui bifurquent : chacun d’eux frôle ou glisse sur les autres. Selon l’endroit où nous mettrons l’accent, nous trouverons une ville ou une autre. N’importe lequel de ces itinéraires, s’il est parcouru avec le coeur, en regardant posément, sans se presser, ajoute une vision de la ville qui restera inscrite dans notre mémoire vivante et humaine, et peu nous chaut qu’elle s’inscrive aussi sur les froides et statiques photographies muettes.

Dr. Ramón ROMÁN ALCALÁ
Prof. Titular de Filosofía

des mobilités dans tous leurs états, JEAN-DIDIER URBAIN

Des mobilités dans tous leurs états…

 

 

Jean-Didier URBAIN

Professeur de sociologie à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Jean-Didier URBAIN a publié :

La société de conservation : étude sémiologique des cimetières d’Occident (Payot, 1978) ; L’archipel des morts (Plon, 1989) ;

L’idiot du voyage histoires de touristes (Plon, 1991, Payot, 1993) ; Sur la plage : moeurs et coutumes balnéaires (Payot,

1994) ; Secrets de voyage, menteurs, imposteurs et autres voyageurs invisibles, (Payot et Rivages coll. Essais 1998). Ce texte

reprend une intervention effectuée dans le cadre de journées d’étude et de réflexion sur la mobilité organisées par le CJB et la

fondation Hassan II à Rabat.
Bien que mes recherches se soient principalement tournées vers l’étude des mobilités vacancières, les questions
que posent les spécialistes de l’observation des flux migratoires (émigrations, circulations, déplace-ments et autres
voyages en cette région du monde, en Méditerranée occidentale, à l’interface de deux conti-nents) tempèrent mon
sentiment de « décalage » vis-à-vis des leurs préoccupations principales. Il s’agit bien en effet de s’attacher à penser
toutes les mobilités dans le même mouvement, en tentant notamment de répondre à ces questions essentielles :
Comment parle-t-on des mobilités ? Quels mots emploie-t-on pour cela ? Peut-on envisager une typologie des
mobilités ? Ces questions ne me sont pas étrangères. Elles concernent en effet les mobilités « dans tous leurs états »,
quelles qu’elles soient, professionnelles ou de loisir, économiques ou d’agrément, vécues, observées ou racontées.
Les mobilités dans tous leurs états ? Je n’en évoquerai que quelques-uns, à savoir ceux de la mobilité comme
usage, comme concept et comme objet de récit.

LA MOBILITÉ COMME USAGE
 
Je ne suis pas un spécialiste ; plutôt un généraliste. Bien que ma recherche ait pour point de départ l’étude d’une
forme particulière de mobilité, le voyage touristique, j’ai néanmoins voulu développer à travers cet objet une
réflexion générale sur le voyage et, plus précisément, une anthropologie de l’imaginaire du voyage. Le choix d’une
telle démarche place donc fatalement au centre le problème de l’identité du voyageur : de l’homo viator, de son être
spécifique ou de sa différence, tels qu’on peut espérer les reconstruire à travers l’étude de ses comportements, de ses
attitudes (ou de ses discours) et de ses espaces.
Le problème de l’identité du voyageur pose d’emblée des questions simples (mais essentielles), telles que :
qu’est-ce qu’un homme qui voyage ? Ou qu’est-ce qu’un voyageur ? Comment et pourquoi voyage-t-il ? Et,
finalement, incontournable, celle-ci : qu’est-ce que voyager ?
Ces premières questions en induisent d’autres, corollaires : Quel rapport existe-t-il entre voyage et mobilité ? Ces
termes sont-ils synonymes ? Si non, pourquoi ? Si oui, dans quelle mesure ? Quel rapport entre voyage et tourisme ?
Et, par conséquent, entre voyageur et touriste ? Voyageur et migrant ? Voyageur et nomade ? Quel rapport entre
tourisme et migration ? Entre touriste et nomade ? Migrant et touriste ? Émigrés et vacanciers ?
Car les termes de migration et de nomadisme sont des mots notamment employés en anthropologie du tourisme,
hors de leurs sphères d’usage initiales ou habituelles, et cela sans que ce déplacement d’emploi, qui relève de la
métaphore, soit nécessairement explicité et légitimé. Loin de les résoudre, cela ajoute ainsi aux problèmes de
définition des pratiques et des concepts de la mobilité. Dans quelle mesure peut-on parler de migration vacancière ou
de nomadisme touristique ?
Trois pôles structurent et définissent, tout à la fois, l’unité et l’hétérogénéité de l’homme, donc sa com-plexité. Ce
sont :
- ses attitudes (dimension psychologique) ;
- ses comportements (dimension somatique) ;
- ses espaces (dimension territoriale).
En l’occurrence, ces trois pôles de structuration de l’homme engagé dans une mobilité, quelle qu’elle soit,
définissent respectivement :
1. sa perception du monde (aspect phénoménolo-gique) ;
2. sa façon d’agir (aspect pragmatique) ;
3. les lieux où il projette l’une et y inscrit l’autre (aspect topographique).
Ces trois pôles simultanés, qui participent et témoignent de l’identité de l’homme en mouvement (circulant ou se
déplaçant), sont en perpétuelle inter-action. Il paraît dès lors difficile, voire impossible, de penser l’un de ces pôles
sans s’interroger sur les relations qu’il contracte avec les deux autres – qu’elles soient de complémentarité, de cause,
de conséquence, de contrariété ou de parfaite symbiose. Par exemple, comment penser l’espace du touriste, sans
penser corrélativement à la perception qu’il en a, à l’image qu’il s’en fait, et à la conduite qu’en conséquence il y
inscrit ou projette d’y inscrire. Ou encore comment penser le comportement du nomade en faisant abstrac-tion non
seulement de l’espace où il se loge mais, outre la perception de cet espace par cet homme, de la perception que le
nomade a de sa mobilité, de sa propre conduite, c’est-à-dire de la signification qu’il lui attribue explicitement ou
tacitement. De même, l’attitude de l’émigré, dans son pays d’accueil ou de retour chez lui, etc.
Il y a là une circularité des déterminations entre « regard », « usage » et « lieu », qui définit, entre autres
mobilités, le voyage touristique ou la circulation nomade. On ne peut pas ne pas la prendre en consi-dération, dans la
mesure où cette circularité induit des mobilités, circuits ou déplacements (sous la forme d’attractions ou de flux
dominants), mais peut tout aussi bien les interrompre à des moments de l’histoire et induire à rebours des courtscircuits
(sous la forme de désaffections, d’abandons, d’arrêts ou de détournements de flux).
Je me permets d’insister sur ce point à la fois théorique et méthodologique parce que, d’une part, ces trois pôles
forment un système fondamental au regard de l’anthropologue, un système qui n’est pas lui-même autre chose qu’un
système de modèles articulant entre eux modèles de représentation, modèles d’usage et modèles d’espace.
Soit trois groupes de modèles interdépendants qui sont : d’interprétation du monde, de définition de l’action et
d’identification des lieux.
C’est à la confluence de ces trois modèles que s’en dessine un quatrième qui les englobe, à savoir un modèle
culturel de la mobilité que présuppose toute pratique du mouvement, dont le tourisme ou le noma-disme par
exemple.
Ces trois modèles renvoient les uns aux autres et le système qu’ils constituent demeure opérationnel, efficient,
tant qu’il en est ainsi. Mais qu’un de ces modèles vienne à se modifier, perturbant les inter-actions, et le système sera
dans un premier temps déséquilibré (c’est le court-circuit évoqué plus haut) puis, dans un second temps, reconfiguré,
la modifi-cation de l’un des pôles entraînant celles des autres : d’où, de l’anamorphose à la métamorphose, l’apparition
d’un nouveau modèle culturel, réformé ou trans-formé, corrigé ou mutant. Le passage de la visibilité à
l’invisibilité du départ en vacances, que j’évoque dans Secrets de voyage1, en est une illustration.
Je me permets également d’insister sur ce point de méthode et de théorie parce qu’au vu du programme qui nous
réunit, il me semble que, à bien des égards, son organisation tripartite2 recoupe ces trois pôles. Le premier, en faisant
des circulations observables le nerf de sa réflexion me paraît renvoyer aux modèles d’usage. Le second, qui veut
réfléchir sur les pôles géogra-phiques d’un itinéraire semble renvoyer aux modèles d’espace. Et le troisième, en
évoquant la mobilité comme projet, ne réfère-t-il pas aux modèles de repré-sentation ou de perception en amont de la
mobilité ou de son vécu ?
Alors, vous direz-vous peut-être, pourquoi avoir pris le touriste comme acteur de référence ? Certes, le tourisme
est une forme majeure de la mobilité de cette seconde moitié de siècle (mais ce n’est pas la seule) et ses enjeux
économiques, sociaux et culturels sont consi-dérables, tant il est un vecteur d’acculturation accélérée.
Mais ce n’est pas cela qui a motivé en priorité ce choix initial. C’est que, d’une part, fort de son « irresponsabilité
éthique » (comme l’écrivit Roland Barthes) ou de la non obligation socioéconomique qui guide sa pratique de la
mobilité, le touriste, qu’il soit d’élite ou de masse, pionnier ou pèlerin, est l’acteur d’une mobilité non pas gratuite
mais, en apparence du moins, sans raison impérative ou sans motif d’impor-tance. Contrairement au missionnaire, au
travailleur émigré ou à l’ethnologue, le touriste est un itinérant pauvre en motifs ou en alibis, voulant dire par là que
ses usages, ses choix de mobilité et de destination tendent à se réduire à l’expression brute d’un imaginaire du
voyage que ne viennent guère ou fort peu brouiller d’autres finalités. Voyageur que n’emporte aucune « cause » ou
nécessité, le touriste désire tout haut ce que d’autres rêvent tout bas. C’est là son « moindre défaut » et l’un de ses
intérêts principaux.
D’autre part, et surtout, le tourisme (au sens large de mobilité d’agrément) est un des derniers produits historiques
de la mobilité. De ce fait, par imitation et simulation, toutes les formes de mouvements qui l’ont précédé tendent à se
récapituler en lui : nomadisme, vagabondage, exploration, séjour, etc… Le tourisme est à bien des égards un lieu de
synthèse et de reproduction ludique, symbolique ou rituel de modèles préexistants. Bachelard (en commentaire d’une
célèbre métaphore de Descartes) écrivit que l’éponge « nous montre la spongiosité. Elle nous montre comment une
matière s’emplit d’une autre matière ». Le touriste, lui, est un itinérant-éponge, qui s’est empli d’autres itinérants,
dont il se réapproprie, et résume (à tort ou à raison et plus ou moins bien, il est vrai), les regards, les usages et les
espaces d’élection. Il est de ce fait, au fond de l’éprouvette de la mobilité, une sorte de précipité de ses diverses
formes.
Le modèle culturel du touriste devient ici un paradigme (au sens linguistique du terme) en ce qu’il se subdivise
ou se décompose en une panoplie de mentalités, une série de pratiques et une collection de lieux observables dans le
cadre de l’expérience touris-tique : attitudes, comportements et espaces. De ce point de vue, le champ du tourisme est
un peu une sorte de laboratoire de la mobilité, avec ses inventeurs, ses expérimentateurs, ses échantillons-types de
population et ses comptes-rendus d’expérience. Ces derniers se nomment rapports administratifs, typologies,
relations de voyage (récits, journaux, correspondances ou cartes postales), photographies et autres témoignages.
 


LA MOBILITÉ COMME CONCEPT
 
Puisque c’est « des mobilités dans tous leurs états » qu’il s’agit ici – et ces protocoles d’expertise, d’analyse et de
diagnostic étant posés -, qu’en est-il tout d’abord de la définition des formes et des types de la mobilité ?
Comme fait humain émanant d’un modèle culturel, la mobilité est donc un événement qui résulte de la
conjonction d’un projet (d’un modèle de représentation), d’un théâtre des opérations (d’un modèle d’espace) et d’un
usage scénographique (d’un modèle d’action). Il me semble alors qu’il faut en premier lieu distinguer deux logiques
principales de mobilité :
- Celle qui relève en propre de la migration ou du déplacement, au sens étymologique des termes. Migration, du
latin migratio, signifie « passage d’un lieu à un autre », lui-même dérivé de migrare, qui signifie « changer de
résidence ». Dès le XVIe siècle, migration a le sens de « déplacement d’une population qui quitte un pays pour un
autre ». De fait, déplacement réfère à un mouvement limité ou fini qui signifie « changer de place », autrement dit à
une mobilité de transfert – de résidence ou de sédentarité. Ici, l’itinéraire (signifiant « chemin à suivre pour aller d’un
lieu à un autre ») qui caractérise cette première forme de mobilité, renvoie donc à l’idée d’un parcours de transplantation.
- Celle qui relève en propre du périple ou du circuit, au sens, une fois encore, étymologique des termes. Périple,
du latin periplus, signifie « navigation autour d’une mer, d’un continent », emprunté du grec periplous, composé de
peri, « autour » et de plein, « naviguer ». À la fin du XIXe siècle, même si cet emploi est jugé abusif par les puristes,
périple en vient ainsi à signifier spécifiquement une mobilité circulaire, dont le point d’arrivée se confond avec le
point de départ – ce à quoi renvoie également circuit, du latin circuitus, « faire le tour », dont le dérivé verbal sera
circuler. Ici, l’itinéraire, qui caractérise cette seconde forme de mobilité, renvoie donc à l’idée d’un parcours de
circulation.
Bien sûr, cela une fois posé ne suffit pas à définir la mobilité dans tous ses états, même si cela permet de
distinguer deux types fondamentaux de mobilité – deux perceptions, deux usages et même deux espaces bien distincts
(car n’est-ce pas son usage qui fait l’espace ?). Encore faut-il, afin de ramifier cette opposition initiale, intégrer des
modalités introduisant de la variation – ce qui, on va le voir, nous conduit notamment à identifier le voyage comme
une catégorie particulière de la mobilité.
Qu’il s’agisse de transplantation ou de circulation, ces modalités seront temporelles et porteront donc sur le fait
que la mobilité de transfert ou de circulation peut être durable (prolongée ou perpétuelle) ou bien alter-native
(éphémère ou provisoire).
Quand la transplantation a pour modalité temporelle le durable, la migration devient alors émigration et renvoie à
un procès de sédentarisation. Notons à ce propos que le malaise de nombre d’émigrés provient du décalage ou de la
dysharmonie entre un usage de la mobilité de transplantation, qui relève du durable, et d’un projet, qui relève de
l’alternatif : d’où un vécu déséquilibré de l’espace d’installation, lieu de séjour permanent qui, miné par l’idée du
retour, devient ainsi un lieu d’exil.
Quand la transplantation a pour modalité temporelle l’alternatif, la migration devient alors séjour ou encore
villégiature et renvoie alors à un procès de résiden-tialisation. Ici, personnellement, je distingue radica-lement dans la
sphère du tourisme, la villégiature du tourisme proprement dit, en tant qu’il s’inscrit dans la logique d’un parcours de
circulation, tandis que la première s’inscrit dans celle de la transplantation. Par opposition au tourisme, le nerf de la
villégiature est l’installation. Comme l’écrivit (une fois encore) Roland Barthes, un résident est « un touriste qui
répète son désir de rester » – mais qui, au bout du compte, inscrit dans l’alternatif, arrête un jour de répéter ce désir,
et s’en retourne chez lui.
En contrepoint de cette réflexion, on pourrait dire que l’émigré exilé évoqué plus haut est, quant à lui, un résident
qui répète son désir de partir ; mais qui, inscrit dans le durable et vivant mal cette contradiction entre usage et projet,
désespère finalement de retourner chez lui.
Quand la circulation a pour modalité temporelle le durable, le périple devient alors nomadisme et renvoie à un
procès de « mise en itinérance » perpétuelle. Comme le notait justement l’écrivain-voyageur Bruce Chatwin, dans Le
chant des pistes, pour le nomade, la mobilité n’a ni début ni fin. C’est sa résidence qui relève de l’alternatif, en tant
qu’elle est toujours de transit.
Quand la circulation a pour modalité temporelle l’alternatif, le périple devient alors exploration, pèlerinage,
compagnonnage ou tourisme et renvoie à un procès de mise en itinérance provisoire. Cette mobilité, contrairement à
celle du nomade, ne se conçoit et ne se définit au fond que par l’idée du retour à un point résidentiel de référence,
source et but à la fois. D’où, me semble-t-il, cette utilisation abusive du concept de nomadisme dans le cadre de
l’anthropologie du tourisme – et aujourd’hui en sociologie – qui voit du nomadisme partout. De surcroît, cet emploi
figuré du concept, sans précaution d’usage, l’amalgamant à l’errance ou l’associant au vagabondage, confondent
ainsi l’ambulant et le divagant.
Le nomadisme est le contraire du voyage au sens de sortir de soi, de chez soi, de passer des frontières ou encore
d’affronter l’imprévu. Le nomade est un homme de territoire et de répétition qui est chez lui dans la mobilité. Il n’en
sort donc pas en circulant. Au contraire, il y reste. Ce n’est pas un sédentaire en vadrouille – et des questions comme
celles que se posèrent un Kerouac ou un Chatwin n’ont aucun sens pour lui : « Pourquoi ne suis-je pas resté chez moi
? » s’interroge le premier (Les anges vagabonds, 1965) et « Qu’est-ce que je fais ici ? » est le titre d’un ouvrage du
second (What am I doing here ?, 1989).
Je me souviens d’une rencontre avec un poète Touareg nommé Awad. Il s’opposait justement à cette récupération
du nomadisme par le regard occidental, ce dernier voyant dans le nomade un modèle de l’errance et du voyageur. Le
nomade ne devient un voyageur que dans ce regard-là ; et ce nomade de rappeler à cette occasion que les gens de sa
culture circulent à l’intérieur d’un territoire, selon un itinéraire programmé, voire ritualisé, ce qui les définit bien
davantage comme des sédentaires parcourant leur territoire – tout comme d’autres explorent leur domaine sans sortir
de chez eux : « Est-il assuré que circuler soit le contraire d’habiter, que le premier incite à la célérité et le second à la
sédentarité ? » se demande Pierre Sansot. Il répond : « Il nous paraît possible de dépasser dès maintenant cette
opposition – du moins dans certaines circonstances. Habiter, c’est d’abord avoir des habitudes à tel point que le
dehors devient une enveloppe de mon être et du dedans que je suis. C’est pourquoi on peut affirmer que, d’une
certaine manière, j’habite une ligne de bus, dès lors que je l’emprunte chaque jour » (Du bon usage de la lenteur,
1998). L’année est au nomade ce que la journée est à l’utilisateur régulier du bus. Après tout, que ferait un nomade
s’il prenait des vacances, inter-rompant sa mobilité coutumière ? Partirait-il en… voyage ?
C’est bien pourquoi il me paraît légitime de distinguer le voyage de la mobilité – ou le voyageur du voyageant. Le
nomade, qui naît et meurt dans la mobilité, qui vit dans la mobilité comme on respire, dont le voyage est sans début
ni fin, n’est pas un voyageur ; pas plus, me semble-t-il, qu’un sédentaire qui n’aurait pas l’idée de l’ailleurs et l’envie
(le projet) de s’y rendre un jour ou, au contraire, casanier volontaire, de n’y aller jamais, ne serait véritablement un
sédentaire. L’un et l’autre, ce nomade et ce sédentaire, sont dans des univers homogènes, des mondes sans contremondes,
sans alternative ou sans contraire ; or c’est de cette alternative, de ce contraire, vagabondage du séjour dans
l’ailleurs s’opposant à la mobilité ou à l’installation dans l’ici, que le voyage naît, c’est-à-dire son concept – son idée.
On peut circuler ou se déplacer et ne pas voyager. L’important est donc dans l’idée, c’est-à-dire le projet. Or le projet
est un des trois modèles constitutifs du modèle culturel, ce qui repose le problème de la circularité, de l’interaction de
ces modèles.
Je serais enclin en dernière instance à penser que c’est l’image qui fait voyager – et donc que usages et espaces
suivent les « humeurs » du modèle de représen-tation, c’est-à-dire du projet. Si c’est l’usage qui fait l’espace, alors
c’est 1’idée qui fait l’usage, précipitant souvent le voyageur dans une réalité qui n’est pas à la hauteur de son image.
Cela revient ainsi à dire que voyager est d’abord un projet – et qu’une mobilité sans projet de passage dans l’ailleurs,
hors de chez soi, c’est-à-dire dans un espace perçu et vécu comme tel (et peu importe alors que cet espace soit
lointain ou proche, exotique ou non) n’est pas un voyage. C’est-à-dire, dans cette perspective phénoménologique,
que l’homme qui voyage est d’abord un homme qui a l’idée du voyage – qui déplace avec lui non seulement son
corps et une intelligence logistique (une compétence stratégique) mais encore un imaginaire : un modèle
d’interprétation ou de perception, un modèle de référence qui, selon les voyageurs, produit à des degrés divers la
sensation de dépaysement, d’altérité, de sortie réussie hors d’un univers initial et de ses repères – et ce quel que soit
l’espace.
Certains voyageurs confessent ainsi qu’ils se sentent presque partout chez eux (ou du moins comme chez soi en
certaines terres étrangères) et d’autres, au contraire, qu’ils se sentent étranger partout (y compris chez eux) – en
conséquence de quoi on peut appeler ceux-là des « voyageurs de l’immédiat ». Cet état d’étrangeté à domicile, il va
de soi, peut être perpétuelle et patho-logique ou bien provisoire et volontaire – à l’instar de Fernand Braudel déclarant
vouloir « parler de la France comme s’il s’agissait d’un autre pays » – comme s’il n’en était pas (L’identité de la
France, I – Espace et histoire 1986).
Mais, tout en demeurant dans la sphère psycho-logique de l’expérience du voyage, nous sortons ici de la sphère
de la mobilité – dans la mesure où ces voyages, qui définissent notamment l’état de l’ethnologue de proximité,
peuvent être dans certains cas immobiles ou presque !
Cette dimension existentielle du voyage, la seule observation ne peut la faire clairement percevoir. Tout au plus
peut-elle parfois contribuer à nous la faire deviner, à travers, par exemple, les stratégies sociales mimétiques,
fusionnelles ou d’assimilation des uns, et les stratégies de distinction, de résistance ou de repli des autres. À charge
dès lors, pour l’anthropologue, d’iden-tifier l’idée, de la décrypter, de découvrir, sous le costume physique du
voyageur, son costume psycho-logique. Pour ce faire, il faut avoir recours à d’autres sources, tels que les entretiens,
les témoignages et autres relations de voyage.

LA MOBILITÉ COMME OBJET DE RÉCIT
 
Pour finir, j’en viendrai au récit de voyage, c’est-à-dire, « dans tous ses états » narratifs, à la mobilité racontée, à
son exploitation scientifique ou à ses diverses utilisations heuristiques. Que nous apprend au juste du voyage et du
voyageur un récit de voyage ? Plusieurs niveaux de lecture sont possibles quant à la reconstruction du sens ou de la
réalité de la mobilité qu’ils racontent. C’est là une affaire de contrat de lecture entre le chercheur et l’auteurnarrateur-
voyageur.
Le premier contrat de lecture, le plus ordinairement passé entre auteur-voyageur et chercheur, peut être dit
fiduciaire. Il consiste à croire que ce qui est dit de l’expérience du voyage est vrai : actions, descriptions,
événements, sensations éprouvées. Sur la base de ce contrat, le récit est donc considéré comme un rendu référentiel -
une restitution ou un reflet de l’expérience – et analyse en conséquence comme ce à travers quoi le chercheur peut
reconstruire espaces et usages du voyage : les lieux et les comportements dans leur réalité, c’est-à-dire la pratique du
voyage elle-même, telle qu’elle est ou a été.
Seulement voilà, consciemment ou non, dans quelle mesure ce contrat est-il respecté par le narrateur lui-même ?
En ce domaine, comme en d’autres (et sans penser ici aux fabulateurs), le voyageur, en se pliant, même à son insu, à
certaines lois du genre ou à une façon de dire, est un menteur sincère. Dans quelle mesure dit-il vraiment ce qui est,
ce qu’il voit, fait ou mime ce qu’il ressent ? Il ne peut, au mieux, étant un modèle d’interprétation en mouvement,
que dire ce qu’il pense voir, faire ou ressentir, ce qui n’est pas la même chose.
Dès lors que l’expérience est passée au crible d’une théorie qui conditionne tout autant le souvenir que
l’expression d’une pratique, quelle est, à ce second niveau de lecture, la valeur de témoignage du récit de voyage ?
Le récit n’est plus tant le reflet d’un compor-tement qu’un filtre à travers lequel s’exprime une attitude, c’est-à-dire
l’image d’une pratique interprétée : édulcorée, censurée, idéalisée ou exagérée à des degrés divers. Aussi, distinguant
l’idée du voyage du voyage lui-même, le récit sera-t-il alors, en fait, la matière à partir de laquelle se reconstruit non
une pratique mais une phénoménologie de l’usage du voyage.
Quel est ce filtre ? Son identification détermine un troisième niveau de lecture et d’exploitation heuristique du
récit de voyage. Pour le définir, je ferai référence ici à Paul Ric oeur (Temps et récit, 1983-1985) et à René Girard
(Mensonge romantique et vérité romanesque, 1961). Du premier, on retiendra que la rationalisation de l’activité
cognitive et affective de l’homme procède toujours du désir d’une mise en intrigue du monde lui donnant sens. Et du
second, que ce désir présuppose un détour par un médiateur qui lui procure une image finalisée de lui-même, un
programme ou un scénario d’accomplissement : c’est-à-dire, un modèle de désir et d’action justifiant le choix
d’objet. L’un définit la fonction, et l’autre la nature du modèle de perception. Elles sont l’une et l’autre narratives : ce
filtre est narratif. On posera donc ici, hypothèse anthropolo-gique et historique, une inévitable médiation à l’origine
des discours sur le voyage.
On peut ainsi en venir à concevoir que le récit de voyage est toujours l’hyper-récit d’un hypo-récit, le premier
reprenant la structure ou le fond d’un récit antérieur qui détermine sa mise en forme et/ou son contenu : son style et
son sens. Dans ces conditions, ce troisième palier d’exploitation heuristique du récit de voyage sera une recherche
qui visera à identifier les médiations : les programmes narratifs de référence de la mobilité des voyageurs.
En résumé, nous sommes conduit à distinguer trois usages heuristiques possibles et complémentaires du récit de
voyage :
- L’usage référentiel, fondé sur un contrat de lecture fiduciaire, sur la base duquel le récit sert à reconstruire un
comportement, une pratique ou un vécu du voyage ;
- L’usage phénoménologique qui, relativisant le respect du contrat susnommé, se sert du récit du récit non pour
reconstruire une pratique mais une attitude, une perception ou une théorie du voyage ;
- L’usage hyper-narratif qui se servira du récit de voyage pour étudier l’interface entre pratique et théorie : le
rapport entre usage, discours et médiation.
Pour autant, cela ne veut pas dire que le récit de voyage au regard d’un souci d’objectivité est un matériau
inutilisable. Tout dépend de ce que l’on veut objectiver de la mobilité : ses pratiques, ses lieux ou ses mobiles.
Sous la mobilité, le mobile, qui renvoie à la question initialement posée :
Qu’est-ce qui fait voyager les hommes ? Qu’est-ce qui les fait se transplanter ou circuler ? La réponse est
toujours : le projet. Et ce projet structure l’imaginaire, comme le rêve a une forme narrative. C’est un scénario, un
roman, une image : dans tous les cas, c’est un programme d’action, déterminé par une représentation, qui s’est choisi
un lieu de réalisation. Tout part de là. Des cas récents montrent la puissance de l’image. Pourquoi, par exemple, les
Allemands de l’Est ont-ils voulu, après la chute du mur de Berlin, passer à l’Ouest sinon au nom d’une certaine
image de l’Occident ? Suivent les désillusions qui, ruinant le modèle, induisent les usages et les déceptions que l’on
sait. Pourquoi voyage-t-on ? Peut-être pour se fondre à une image, un récit, un scénario, espérant sa coïncidence avec
le réel. Seulement voilà, on l’a dit : le réel, bien souvent, n’est pas à la hauteur des ambitions du récit et la médiation,
qui a tout déclenché, se révèle être un fantôme de désir inadapté à la réalité. Reste, en conclusion, que la structure
anthropologique de l’imaginaire du voyage est une constellation de scénarios de possibles narratifs irriguant les
désirs de mobilité ; et que, en conséquence, la recherche sur la mobilité et le voyage ne peut pas faire, tôt ou tard,
l’économie de l’expédition dans ce labyrinthe des possibles : un dédale où l’on apprend, entre autres leçons, que si,
pour les uns, voyager, c’est être ou devenir étranger, pour les autres, c’est être ou devenir soi.
Notes :1. Jean-Didier Urbain, Secrets de voyage, menteurs, imposteurs et autres voyageurs invisibles, Paris : Payot et Rivages (coll. Essais), 1998, 464 p.
2. Détail de la rencontre.

furtifs, laisser des traces

mobilité – autonomie – indépendance

nous intervenons dans l’espace public, nous nous installons pour présenter notre tarvail, proposer des reflexions communes sur des sujets communs. et puis nous reprenons la route. le Bus est un environnement de discussion. essemer, ceuillir => échanger.

 

travailler avec un public, restituer le fruit

suciter l’envie, sollicter le pouvoir créatif individuel , savoir relever la singularité de chacun -

se faire le miroir de cette réalité à travers le prisme de notre réflexion aguerrie

relever d’empreintes sonores dans la ville

enregistreur

aller chercher là ou rien n’est évident – donner à voir par l’oreille – zoomer si nécessaire

exacerber la curiosité

Jacques Tati nous inspire, le son post-synchro, son traitement si particulier, nourrit notre envie de relief que nous développons à travers notre regard porté sur la ville.

Le compositeur Nicolas Frize produit des oeuvres en lien avec notre environnement social et urbain. Il apporte une réflexion sociologique sur le lien entre le matériau sonore et notre quotidien, à l’échelle de l’intime comme à l’échelle de la ville. Nous sommes particulièrement attentifs à son travail.

 

un Bus tourné vers l’autre, ou l’art de collecter

s’attarder sur le sujet, prendre le temps de la rencontre, glaner les sons et les images, les paroles et les regards

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source : Baptiste Villenave

Université de Caen Basse-Normandie
LASLAR (Lettres, Arts du Spectacle, Langues Romanes, EA 4256). Directrice : Brigitte Diaz
Comité d’organisation : Teresa Orecchia Havas, Anne Surgers, Marie-José Tramuta, Julie Wolkenstein, Baptiste Villenave
LE REGARD À L’OeUVRE Lecteurs de l’image, spectateurs du texte

[...L'expression de « regard à l'oeuvre » implique qu'une oeuvre n'existe que dans l'échange, la coïncidence ou la confrontation de plusieurs regards : celui des auteurs, celui de l'énonciateur, celui des personnages, celui des acteurs, celui du spectateur, celui du lecteur. En rapprochant les modalités de production et de réception de l'image dans le texte (soit que le texte se substitue, avec ses moyens propres, à l'image, pour donner à voir, représenter une oeuvre picturale, théâtrale, cinématographique, photographique, qu'elle soit réelle ou fictive, soit qu'il intègre, juxtapose l'image à l'écriture), et du texte dans l'image (là encore, par mimétisme ou par inclusion de la structure textuelle dans la mise en scène, théâtrale ou cinématographique...]

 

le Bus, notre objet artistique

-bus a nu hangar souffleurs

 

 

 

 

 

Transcender l’objet bus en outil de création

 

Les artistes du collectif « le caravansérail » se retrouvent autour de cet objet commun, « le Bus, » défini comme objet de création.

Il est notre identité, il a contribué à notre histoire depuis 10 ans. Il est intrinsèquement lié à la notion de mouvement, et renvoi à l’essence même du cinéma. Son image générique , celle d’un objet proche des gens, de l’humain, convivial,  par le fait même qu’il soit aménagé pour accueillir plusieurs personnes à son bord, voyager sans avoir à conduire, procure un sentiment de tranquillité et de liberté. Son rôle de transport en commun le désigne comme un outil privilégié dans notre démarche de cinéma de recherche et d’exploration sur le terrain.

Ce bus représente des valeurs auxquelles nous tenons fortement – autonomie – mobilité – indépendance. Il nous permet de nous installer rapidement, n’importe où et à moindre coût, pour accueillir un public.

 

Le Bus est aussi une salle de cinéma, itinérante, spécifique. Nous projetons des films scénarisés et montés sur sept écrans, associé à notre système de diffusion sonore en surround 7.1. La jauge de 20 personnes nous permet d’immerger le spectateur au cœur du récit, dans un contexte intimiste. A l’arrière du bus, se trouve aménagée une seconde salle de cinéma, plus classique, où nous proposons des films documentaires. L’idée étant d’approfondir le discours, d’aller plus loin autour de la thématique abordée en faisant appel à différents réalisateurs de cinéma documentaire.

 

 

Le Bus , objet de récit

 

Dès l’étape de tournage le dispositif de diffusion du Bus nous guide dans la réalisation. Dans le choix du cadre, des plans et la correspondance entre eux, qu’ils soient prévus pour être projetés l’un en face de l’autre, l’un à côté de l’autre ou simplement l’un après l’autre. Notre  dispositif de multidiffusion pose la question du hors champ que nous pouvons redéfinir. La notion de champ / contre champ est mise en scène  dans l’espace réel, lorsque deux personnages se font face. Osons transgresser les fondamentaux du cinéma, et franchir cette frontière du 180°, pour au final placer le spectateur au cœur de la scène.

Les multiples possibilités en terme de spatialisation du son, nous permettent d’appeler le regard du spectateur d’un bout à l’autre du bus, ou parfois en jouant sur une idée de relief, de profondeur avec un son en proximité, proche de l’écran donné. Il est fondamental de prendre en compte ces aspects dès l’étape de tournage, puisqu’ils vont jouer un rôle déterminant dans la construction de la narration.

 

Fenêtre sur l’autre

 

Dans le cadre de notre projet « Fenêtre sur l’autre », qui traite de la question du mal logement, le rapport au Bus paraît évident, en ce qui concerne l’habitacle, l’endroit clos, équipé de fenêtres, souvent réutilisé en camping-car ; pour autant nous  ne mettront pas en avant cet aspect. Cependant, il nous semble intéressant de travailler avec les fenêtres du Bus. Dans le choix du cadrage, au moment de la captation des regards, nous ajusterons les valeurs de plan en rapport à la taille des fenêtres et à leur distance par rapport au public, de manière à obtenir des proportions proche de la réalité.  Ces fenêtres deviennent éléments du récit inévitablement. Ce sera l’occasion de questionner la signification de cet objet «  fenêtre ».  La fenêtre transparente, celle qui autorise ou permet le regard en plus d’offrir la lumière. Parfois la fenêtre est frontière : quelle distance impose-t-elle ? Quel statut implique-t-elle ? Quelle différence représente-t-elle entre celui qui regarde et celui qui est vu ?

Réalité / onirisme ou imagination

Nous arrivons à cette question du « dedans/dehors ». La fenêtre possède une double fonction, comme frontière et comme lien.  Une thématique qui va guider Boris Gibé et Florent Bouchon dans le traitement de l’espace autour du bus et aux abords du bus. Ils installeront des dispositifs vidéo, des maquettes, qui mettent en scène l’Humain dans son espace au quotidien, particulièrement lorsqu’il ne l’a pas choisit.

Il sera également question de l’implantation des habitats informels, habitats de fortune, dans le paysage, dans l’espace public réapproprié. Au sein d’une architecture pensée, réfléchie, se développe une « micro-architecture ».

Enferment / protection ou contrainte