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COURRIER AU PREMIER MINISTRE – JEROME GUEDJ PRESIDENT DU CONSEIL GENERAL DE L’ESSONE – 10 JUIN 2014

Évry, le 10 juin 2014,

« Monsieur le Ministre,

L’accord du 22 mars dernier est aujourd’hui source d’un malaise profond chez les intermittents du spectacle et la saison des festivals est menacée, comme ce fut le cas en 2003.

Un médiateur, le député Jean-Patrick Gille, Député d’Indre-et-Loire, Vice-président de la commission des affaires sociales, a été nommé à la tête d’une mission de propositions sur l’assurance-chômage des artistes et des techniciens du spectacle, pour sortir de la crise qui est en train de s’installer.
Je ne peux que me réjouir de ce geste d’ouverture de la part du gouvernement, mais les inquiétudes suscitées par cet accord relèvent d’un problème plus large : quelles politiques publiques doit assumer la gauche pour garantir aux acteurs de la culture un environnement qui sécurise la création et permette un accès à la culture à tous ?  Que voulons-nous pour la vie culturelle de notre pays, pour le dynamisme culturel de nos territoires ? C’est à cette question qu’il faut répondre pour repenser le régime de l’intermittence.

Je sais la qualité, la force et les fragilités du milieu culturel français en tant que Président du Conseil général de l’Essonne. A l’échelle de notre département, où nous consacrons plus de 1% de notre budget à la culture (15 millions d’euros), que ce soit en fonctionnement ou en investissement, hors masse salariale, je peux mesurer chaque jour la nécessité de politiques publiques ambitieuses en direction de la culture, en lien avec les acteurs de la création et de la diffusion, mais aussi avec les autres institutions de la République décentralisée (Régions, Communes, Agglos) et de l’État déconcentré (DRAC, DDAC, DASEN).

Sans ces politiques publiques, que nous devons revendiquer et assumer en cette période de disette budgétaire où il serait trop facile de sacrifier à la petite musique délétère jouant l’air de « la culture ne sert à rien et ne devrait pas relever pas de politiques publiques », de nombreuses personnes n’auraient plus accès au cinéma d’art et d’essais, au théâtre, aux concerts joué dans les SMAC… De trop nombreuses associations qui assurent l’initiation aux arts et à la culture, en assument la diffusion dans les villages, les quartiers où les services publics se font rares seraient incapables de fonctionner. Sans les politiques publiques développées par les institutions décentralisées, de nombreux artistes n’auraient jamais pu développer leur talent, n’auraient même jamais eu accès à des courts d’initiation aux arts dramatiques, à la photographie, au cinéma…

Je rappelle ces évidences car beaucoup les oublient. Je tiens à rappeler également une autre évidence, car je suis directement concerné en tant que garant d’une politique cultuelle vivante et dynamique en Essonne, que le régime de l’intermittence a été créé pour pallier la discontinuité du travail des techniciens du cinéma. Il permet à des personnes dont l’emploi rémunéré ne peut être continu, d’accéder à l’assurance chômage même sur de petites périodes ou  après de petites périodes de travail. Il a été élargi aux artistes du spectacle (cinéma,  danse, théâtre, musique…) qui eux aussi se retrouvent, comme les techniciens, avec  des séquences de travail courtes et d’autres où ils ne peuvent se salarier (écriture,  création, répétitions, recherche de financements…)

Le régime de l’intermittence  c’est ce qui permet à des personnes travaillant dans le spectacle d’être sous la  protection de la solidarité nationale, alors qu’ils y cotisent plus que les autres. Avec le nouvel accord, nous verrons retourner au régime général des comédiens,  des musiciens, des techniciens qui étaient déjà dans des situations précaires. Nous  perdrons donc la qualité du travail des structures de moyenne et petite taille : le  délai entre la fin du travail rémunéré et le début de l’indemnisation a trop augmenté  pour être viable pour les petits salaires (beaucoup ne gagnent pas plus que une ou  une fois et demie le smic, rarement deux fois).

De plus, l’ouverture des droits au chômage au régime général étant si difficile à  atteindre en travaillant dans la discontinuité du monde du spectacle, ce sont bon nombre de nouveaux bénéficiaires du RSA qui vont apparaître. Et les Conseils généraux ne sauraient en plus de la baisse des dotations de l’état, assurer autant de nouveaux inscrits au RSA.

Nous allons donc, en signant cet agrément, faire sortir du régime de l’intermittence  des personnes qui ont pour habitude de ne pas compter leurs heures et de le faire pour nous, pour notre plaisir, notre culture et le rayonnement de nos territoires.

Mais au-delà, c’est tout le système de solidarité nationale des travailleurs qui est remis en cause.

Monsieur le Ministre, je tiens ainsi à vous alerter solennellement, concernant le sort des intermittents du spectacle, qui relève des annexes 8, relative aux techniciens et 10, relative aux artistes, que cette réforme met en péril la création et la diffusion culturelle dans notre pays, donc la possibilité pour l’ensemble de nos concitoyens de jouir de ce qui est une fierté partagée en France, l’excellence culturelle de notre pays. La convention assurance chômage durcit injustement leur régime, n’est pas acceptable en l’état. Je ne peux l’accepter au nom des responsabilités qui sont les miennes dans la politique culturelle que je défends dans un territoire peuplé de 1,2 millions d’habitants.

Nous sommes attachés aux politiques publiques de soutient à la culture, nous croyions en une société où l’excellence culturelle soit accessible à toutes et tous, où les arts ne soient pas réservés à l’élite mais offerts en partage à l’ensemble de nos concitoyens.

Je vous demande donc de ne pas signer l’accord du 22 mars en l’état et de revenir sur le “différé d’indemnisation” (nombre de jours retardant le versement de la première allocation, calculé à partir des salaires perçus et des heures effectuées) qui doit être supprimé de la réforme du régime des intermittents. Dans un contexte de recul du budget du ministère de la culture, de difficultés pour les collectivités locales à assumer le soutien à l’activité culturelle, toucher même à la marge au régime de l’intermittence peut porter un coup fatal à certains pans très fragiles de l’offre culturelle.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, à l’expression de ma haute considération,

Jérôme Guedj »