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la lutte, hier et aujourd’hui, par Luc Perrot

Bonjour à toutes et à tous, artistes et techniciennes, techniciens du spectacle,
Je suis assez étonné de ce que je lis et entends depuis le début de cette bataille sociale que nous menons tous, là où nous sommes, pour construire une société où l’individualisme ne soit pas un but politique en soi, mais le moyen de se vivre pour partager avec l’autre.
Je lis et j’entends que 2003 fut une boucherie dont les compagnies mirent des années à se remettre. Cette parole en boucle dans la bouche des « vénérables » et colportée avec gourmandise par les médias n’est pas une vérité, mais une partie de celle-ci. Ancien directeur de compagnie de rue (Le Cercle de la Litote, 15 ans d’activités quand même), j’en étais en 2003, à Sotteville-lès-Rouen, où effectivement, ce fut un moment « dur » pour choisir de se mettre en grève, de bloquer ou pas la tenue de cet évènement. La direction de l’époque, le Maire de la commune ne nous ont pas aidé au début du mouvement, ce qui était normal, chacun sa place. Nous avons arraché leur adhésion et retourné leur opinion par notre exigence morale. Ce fut une force qui nous a portés. Ce fut aussi un combat. Il y eut des compagnies malmenées car elles voulaient jouer leur spectacle. Il y eut des piquets de grève pour les en empêcher et après, tenter d’expliquer, de convaincre qu’il fallait voir plus loin que la survie de « sa » compagnie, que c’était un bien commun que nous cherchions à construire. Ce fut un combat. Nous l’avons porté jusque sur les quais de Rouen lors de l’Armada 2003 avec charge de CRS, garde-à-vue et public averti (Le mot « intermittent » et ceq qu’il signifiat commença à émerger dans les têtes).
Ensuite, nous sommes allés à Avignon tenir la barre de la contestation et de l’exigence d’un autre projet social … et ce fut un combat que de faire basculer le « off » dans la grève pour consolider notre lutte, d’entrainer nos collègues du « in ».
Ce fut fait (Je tiens à rappeler aussi que les commerçants de la ville allèrent réclamer une aide de l’état (nos impôts) pour le manque à gagner dû à cette « grève festivalière » et qu’elle leur fut accordée … Ironie de l’économie !)
Je tiens à rappeler que ce sacrifice « financier » individuel réel, fut l’occasion de se rencontrer, de débattre, de faire émerger notre conscience commune qui a porté jusqu’à maintenant nos voix d’artistes et de techniciens et au delà, une « vision » sociale que les cheminots, les retraités, les fonctionnaires ont eux aussi incarné. C’est ce qu’on appelle la solidarité.
Je tiens à rappeler que ce combat a permis, à celles et ceux qui aujourd’hui réécrivent l’histoire, de rester dans le régime de l’intermittence qui, bien que revu, fut maintenu et non supprimé comme il en était déjà question à l’époque et de permettre aux nouvelles générations de pouvoir tenir le front de la création.
Je respecte les choix qui sont faits par celles et ceux qui sont « au combat » aujourd’hui même si je ne crois pas que la contestation d’un ordre néo-libéral fondé sur la multiplication des individualités et non sur une vision partagée et commune, où la notion de compétition alliée à celle de précarité tiennent lieu et place de projet « politique de gauche », puisse se faire dans l’accompagnement « militant » des festivals qui se font malgré tout avec de belles images d’ »actions » de croix blanches. J’ai entendu Mme Mnouchkine proposée qu’on se revoit en septembre, que la commission ministérielle se réunirait à partir du 18 sept car elle partait maintenant en « vacances ». C’est drôle, plaisant, amusant de voir qu’une grande artiste, qu’une commission sensée aidée à résoudre un problème de vie sociale se mettent en « vacance » unilatéralement, renvoyant « à la rentrée » les contestataires d’un ordre qui prend ses quartiers d’été. Cela acte le poids d’une contestation qui ne pèse finalement rien.
Je continue, par ailleurs, en tant qu’élu le combat autrement, aujourd’hui. Je ne suis plus intermittent (Que j’ai détesté ce mot alors que je travaillais tous les jours, examiné mensuellement par un conseiller assedic suspicieux pour savoir si je méritais mon allocation chômage !!!) c’est pourquoi je me suis tu jusqu’ici. Mais la réécriture de l’histoire au bout d’un moment cela s’appelle de la falsification et de l’irrespect pour celles et ceux qui menèrent ce combat de 2003.
Je crois à la lutte et je ne connais pas d’ordre qui ne s’établisse autrement que par un rapport de force. Qu’un système politique se mette en place sans que jamais il ne se nomme, voilà un tour de passe-passe très fort et intelligent. Je n’ai pas de solution, mais je sais que je suis plus intelligent à plusieurs que seul dans mon coin, ma compagnie, mon acte artistique. Il ne faut pas confondre l’énergie d’invention, de création et le cadre juridico-économique dans lequel elle peut se déployer. C’est de cela dont il est question aujourd’hui. Aurons-nous les moyens sociaux pour permettre à une petite minorité de chercher, de fouiller, de mettre en mot, en corps, en acte les émotions qui nous font vivre ? Les artistes sont des chercheurs de signes qui nous établissent comme être humain. Voulons-nous de ces chercheurs-là ?
Bien à vous.
Luc Perrot, ancien directeur du Cercle de la Litote compagnie de rue, co-fondateur du Ministère de la Ruépublique (Fédération Normande des Arts de la Rue), ancien administrateur de la FEDE nationale des Arts de la Rue.